Réimaginer le développement agricole africain: voies potentielles pour l’avenir
L’Afrique se trouve à un point d’inflexion critique pour ses systèmes alimentaires. Les décideurs africains vont-ils poursuivre sur la voie du développement d’une agriculture à forte intensité énergétique qui emploie moins de personnes, sape les ressources naturelles, est dépendante des marchés d’exportation et a peu d’impact sur la sécurité nutritionnelle au niveau national ? Si la vision d’une Afrique de plus en plus urbaine est séduisante et si l’industrialisation de l’agriculture est considérée comme la voie à suivre pour y parvenir, les décideurs politiques doivent s’interroger sur le programme moderniste qu’ils poursuivent depuis l’indépendance. Ces politiques conduiront-elles au plein emploi, à la sécurité alimentaire et à la résilience face aux perturbations climatiques et économiques mondiales ? Les statistiques gouvernementales suggèrent un « non » catégorique. Les responsables politiques africains doivent tracer une voie radicalement différente vers la prospérité et le bien-être futurs. Ce séminaire explore de nouvelles idées sur la façon de réimaginer les paradigmes du développement agricole africain et de rendre opérationnelle une autre voie, avec un accent particulier sur l’agroécologie et les idées circulant dans la sphère africaine francophone. Si tous les panélistes reconnaissent la nécessité d’un changement, la meilleure façon d’aller de l’avant est plus contrastée et fait l’objet de ce séminaire.
Le sous-développement des pays du Sud n’est pas nouveau. Les puissances coloniales ont activement sous-développé l’Afrique en introduisant des cultures de rente pour les marchés européens, en utilisant souvent des taxes pour créer un besoin d’agriculture commerciale pour gagner de l’argent. Cela a sapé la production alimentaire locale, réduit le stockage des céréales excédentaires, dégradé les sols et renforcé l’auto-exploitation de la main-d’œuvre domestique. De nombreux gouvernements africains ont adopté une politique de l’auto-suffisance alimentaire dans les décennies qui ont suivi l’indépendance, cherchant à produire autant de nourriture que possible à l’intérieur de leurs frontières en utilisant les technologies de la première révolution verte, notamment les semences améliorées, les pesticides et les engrais inorganiques. Parallèlement, de nombreux nouveaux gouvernements africains ont cherché à stimuler l’industrialisation en appliquant des politiques de substitution des importations, les agro-industries figurant en bonne place parmi les entreprises développées à cette époque. Avec la crise de la dette de la fin des années 1970, les institutions financières internationales ont lancé une forme agressive de réforme économique néolibérale. Cela a conduit à des réductions draconiennes des fonctions de l’État, à une réduction des subventions et des droits de douane, à un accent sur le commerce et les exportations, et à une concentration accrue sur les produits de base pour lesquels les pays africains étaient réputés avoir un avantage comparatif. Si la production de produits de base a augmenté au cours de cette période, la production de cultures vivrières a souvent diminué. Cela n’était pas considéré comme un problème car, selon le nouveau paradigme néolibéral de la sécurité alimentaire, les pays pouvaient se concentrer sur quelques exportations et sur le commerce des denrées alimentaires.
Le paradigme néolibéral de la sécurité alimentaire a duré 25 ans jusqu’à ce qu’il s’effondre au milieu des années 2000, lorsque les prix des denrées alimentaires ont commencé à augmenter, faisant un bond de quelque 50 % en 2007-2008 avec la hausse des prix de l’énergie et la spéculation financière. La crise alimentaire mondiale a déclenché des manifestations alimentaires dans le monde entier. Fortement dépendantes des importations alimentaires, les populations urbaines d’Afrique ont été particulièrement touchées. Cette crise a attiré l’attention des dirigeants mondiaux et des responsables politiques africains, lançant un virage néoproductionniste dans le développement agricole africain, souvent appelé « Nouvelle révolution verte pour l’Afrique » (NRVA). Pour la première fois en près de trois décennies, l’agriculture était de nouveau à l’ordre du jour. Bien que semblable à la première révolution verte à bien des égards, la NRVA mettait davantage l’accent sur l’implication du secteur privé et la connexion des petits agriculteurs aux marchés mondiaux. Tout en faisant un clin d’œil au genre et à la nutrition, l’accent a été mis sur l’augmentation des rendements par la monétisation de l’agriculture et l’utilisation d’intrants. La pandémie de COVID-19, les blocages associés et les perturbations commerciales ont encore révélé les insuffisances des stratégies africaines de développement agricole et de sécurité alimentaire. Les taux de faim et de malnutrition augmentent dans de nombreuses régions du continent africain, car les agriculteurs perdent leurs marchés d’exportation, les prix des denrées alimentaires augmentent avec la baisse de la valeur des devises et les pauvres des villes luttent pour acheter de la nourriture compte tenu des pertes de revenus. Ironiquement, les agriculteurs pratiquant une agriculture de subsistance, les moins touchés par le développement, se sont mieux portés ces derniers mois.
L’Afrique se trouve à un point d’inflexion critique. Les décideurs africains vont-ils poursuivre sur la voie du développement d’une agriculture à forte intensité énergétique qui emploie moins de personnes, sape la base de ressources naturelles, est dépendante des marchés d’exportation et a peu d’impact sur la sécurité nutritionnelle au niveau national? Si la vision d’une Afrique de plus en plus urbaine est séduisante et si l’industrialisation de l’agriculture est considérée comme la voie à suivre pour y parvenir, les décideurs politiques doivent se poser des questions difficiles sur le programme moderniste qu’ils poursuivent depuis l’indépendance. Ces politiques conduiront-elles au plein emploi, à la sécurité alimentaire et à la résilience face aux perturbations climatiques et économiques mondiales ? Les statistiques gouvernementales suggèrent un non catégorique. Les responsables politiques africains doivent tracer une voie radicalement différente vers la prospérité et le bien-être futurs. Ce séminaire explore de nouvelles idées sur la façon de réimaginer les paradigmes du développement agricole africain et de rendre opérationnelle une autre voie, avec un accent particulier sur l’agroécologie et les idées circulant dans la sphère africaine francophone. Si tous les panélistes reconnaissent la nécessité d’un changement, la meilleure façon d’aller de l’avant est plus contrastée et fait l’objet de ce séminaire.
Programme et intervenants
Modération:Jean-Michel Sourisseau,Directeur adjoint, UMR ‘Acteurs, Ressources et Territoires dans le Développement’ (ART-Dev) / Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), France
15:00-15:05 Mot de bienvenue
Patrick Caron,Directeur, Montpellier Advanced Knowledge Institute on Transitions (MAK’IT), France
15:05-15:20 Introduction et cadrage
William Moseley,Professeur de géographie, Macalester College, Saint Paul, Etats-Unis & Scientifique invité MAK’IT (UMR ‘ART-Dev’)
15:20-16:20 Contributions des panélistes :
Philippe Baret,Professeur titulaire, Université catholique de Louvain, Belgique,
Mamadou Goita,Directeur exécutif, Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (IRPAD), Mali,
Evelyne Compaore,Sociologue et spécialiste des systèmes d’innovation agricole, Institut de l’environnement et de la recherche agricole (INERA) et Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST), Burkina Faso
Mariam Sow,Directrice, ENDA-Pronat, Sénégal
Denis Gautier,Géographe et Directeur régional pour la Méditerranée, CIRAD, France
16:20 – 17:20Discussion générale
17:20 – 17:30Conclusion
Denis Pesche,Directeur, UMR « ART-Dev » / CIRAD, France