Quels rôles pour la science en temps de crise ? une conférence Mak’it le 7 avril 2022

Organisée par le Montpellier Advanced Knowledge Institute on Transitions (MAK’IT), en collaboration avec le South Centre, la conférence MAK’IT 2022 intitulée “Quels rôles pour la science en temps de crise ?” a présenté une série de table-rondes et de discussions mettant en avant l’importance des approches interdisciplinaires, de l’intégration des connaissances locales et globales, et des responsabilités éthiques des scientifiques en période de crise.
Panel Science in crisis

Le Montpellier Advanced Knowledge Institute on Transitions (MAK’IT) a organisé une conférence majeure en 2022, axée sur le rôle crucial de la science en temps de crise. L’événement a rassemblé un large éventail d’experts, y compris des scientifiques, des décideurs politiques et des représentants de divers secteurs, pour explorer comment les communautés scientifiques peuvent répondre efficacement aux crises et les naviguer. Les discussions entre spécialistes éminents ont abordé de nouveaux scénarios de crise liés à la santé, à l’environnement et à l’agriculture dans leurs différentes dimensions, examiné les interactions complexes entre la science, les politiques et le public, et le rôle de la science et des scientifiques dans la recherche de solutions durables et pérennes pour la résolution des crises. Gary Machlis, professeur de durabilité environnementale à l’Université de Clemson, a par exemple participé à la table-ronde « Scientists in crisis? Keys to navigate an intricate landscape of requests » :

Un scientifique qui dit à un décideur gouvernemental « Je pense que ceci se produira si vous prenez telle ou telle mesure » n’aura pas d’écho, mais il peut au moins dire : « Je pense que ceci se produira, et voici le degré d’incertitude que j’associe à ma prédiction ». L’évaluation de l’incertitude devient donc un outil essentiel de la science en temps de crise.

Gary Machlis

Paul Shrivastava, directeur de l’Institut de la Durabilité à l’Université d’État de Pennsylvanie, a discuté des changements institutionnels que les crises peuvent déclencher. Il a soutenu que les crises ne sont pas des événements isolés mais des processus qui se déroulent dans le temps et l’espace, offrant de multiples opportunités de prise de décision.

Le rôle de la science en temps de crise reste un sujet de discussion crucial. Les discussions en panel ont réuni des experts de divers domaines pour explorer cette question. Le discours a tourné autour de l’intégration de la science dans la gestion des crises, des responsabilités éthiques des scientifiques et des changements structurels nécessaires pour améliorer l’efficacité des interventions scientifiques en cas d’urgence.

L’un des principaux enseignements des panels a été la nécessité d’un changement de paradigme dans l’approche de la recherche scientifique et de son application en temps de crise. Les méthodes scientifiques traditionnelles suivent souvent une progression linéaire de la théorie à l’application. Cependant, en situation de crise, cette séquence peut devoir être inversée, l’application immédiate guidant la collecte de données et le développement théorique. Cela nécessite une modification significative du modèle logique de la pratique scientifique, mettant l’accent sur la nécessité de réponses rapides et flexibles qui privilégient les connaissances exploitables.

Un panel a également souligné l’importance de la collaboration interdisciplinaire pour faire face aux crises complexes. Dans des scénarios où plusieurs disciplines se croisent, comme les catastrophes environnementales ou les pandémies, aucun domaine unique ne peut fournir des solutions complètes. Ainsi, il est essentiel de briser les barrières institutionnelles et de favoriser la collaboration entre disciplines. Cette approche accélère non seulement le rythme de la réponse scientifique, mais garantit également que les solutions sont holistiques et pertinentes pour les besoins des décideurs et des communautés affectées.

En outre, la discussion a souligné le rôle crucial de la communication dans le déploiement efficace de la science en temps de crise. Les scientifiques doivent dialoguer avec les décideurs politiques, les intervenants d’urgence et le public pour assurer la diffusion de connaissances utilisables. Cela implique non seulement de fournir des prédictions et des explications, mais aussi de transmettre les incertitudes associées. Une communication efficace peut combler le fossé entre les connaissances scientifiques et la prise de décision pratique, facilitant des réponses informées aux crises.

Les considérations éthiques ont également constitué une partie importante de la conversation. Les panélistes ont plaidé pour le développement d’un code de conduite spécifique à la science en temps de crise. Cela aborderait des questions telles que l’éthique de la collecte de données, le respect des communautés affectées et la communication responsable des résultats scientifiques. De telles directives sont essentielles pour maintenir l’intégrité de la pratique scientifique et garantir que les interventions soient à la fois efficaces et équitables.

Un autre problème pressant discuté était l’impact des crises sur la liberté scientifique et la sécurité des scientifiques. Le panel a noté une tendance inquiétante de harcèlement et de menaces contre les scientifiques, en particulier ceux travaillant sur des questions controversées comme le changement climatique. Protéger la liberté scientifique et assurer la sécurité des chercheurs est primordial pour faire avancer une science qui sert le bien public. Cela implique de favoriser des environnements de travail soutenants et de plaider pour des politiques qui défendent les principes d’intégrité et de liberté scientifique.

Enfin, le panel a appelé à une réévaluation des structures institutionnelles existantes qui régissent la recherche et la pratique scientifiques. Les systèmes actuels pénalisent souvent les parcours de carrière non conventionnels et le travail transdisciplinaire, qui sont de plus en plus nécessaires pour relever les défis mondiaux. En réformant ces structures pour encourager la collaboration, la flexibilité et l’innovation, la communauté scientifique peut mieux contribuer à la gestion des crises et aux objectifs de développement durable.

La conférence MAK’IT 2022 a souligné le rôle crucial de la science dans la gestion et la navigation des crises. Les discussions ont mis en avant l’importance des approches interdisciplinaires, de l’intégration des connaissances locales et globales, et des responsabilités éthiques des scientifiques. La conférence a également insisté sur la nécessité de changements institutionnels, de stratégies de communication efficaces et de solutions pratiques et contextuelles. Alors que le monde continue de faire face à des crises complexes et interconnectées, les idées et recommandations de cette conférence fournissent une feuille de route précieuse pour la communauté scientifique afin d’améliorer ses contributions à la résilience et à la durabilité mondiales. En abordant ces domaines, la communauté scientifique peut renforcer sa capacité à répondre efficacement aux crises, en veillant à ce que la science reste une pierre angulaire de la résilience et du progrès mondiaux.

Parmi les orateurs se trouvaient :

  • Carlos Alvarez Pereira, Club de Rome
  • Timothy Coombs, Professeur Abell des Arts Libéraux, Université Texas A&M, États-Unis
  • Carlos Correa, Directeur Exécutif, Centre Sud
  • Fatima Denton, Directrice, Institut des Nations Unies pour les Ressources Naturelles en Afrique (UNU-INRA)
  • Michel Dubois, Chercheur Principal au CNRS, Directeur du Laboratoire Gemass à l’Université de la Sorbonne, Paris & Co-Directeur de la Revue Française de Sociologie
  • Oluchi Ezekannagha, Coordinatrice du Groupe de Travail du Hub COVID-19 du CGIAR
  • Nick Ishmael-Perkins, Consultant Indépendant & Ancien Directeur de SciDev.Net
  • Melissa Leach, Directrice, Institute of Development Studies (IDS)
  • Sélim Louafi, Directeur Adjoint, Unité Mixte de Recherche ‘Amélioration Génétique et Adaptation des Plantes Méditerranéennes et Tropicales’ (AGAP), CIRAD
  • Gary Machlis, Professeur de Durabilité Environnementale, Université de Clemson, États-Unis & Ancien Conseiller Scientifique du Directeur du Service des Parcs Nationaux des États-Unis (NPS)
  • Alexander Müller, Fondateur et Directeur Général, TMG Think Tank for Sustainability
  • Janos Pasztor, Directeur Exécutif, Initiative de Gouvernance Climatique Carnegie (C2G) & Ancien Secrétaire Général Adjoint des Nations Unies pour le Changement Climatique
  • Paul Shrivastava, Directeur, Institut de la Durabilité de Penn State, Université d’État de Pennsylvanie, États-Unis
  • Vivi Stavrou, Secrétaire Exécutive du Comité pour la Liberté et la Responsabilité en Science, Conseil International des Sciences (ISC)
  • Soumya Swaminathan, Scientifique en Chef, Organisation Mondiale de la Santé (OMS)